Je me propose de parler de nous, cest-à-dire des intellectuels. Non pas des intellectuels en général, quil serait fort malaisé de définir, mais de nous, intellectuels qui nous réclamons du marxisme ou qui nous disons marxistes, donc révolutionnaires, les deux termes étant par principe équivalents.
Si on les a séparés, ce nest pas de ma faute. La question doù je partirai est la suivante : est-ce que, en raison justement de cette équivalence, nous voulons encore aujourdhui transformer le monde ou participer à sa transformation ? Le préalable consiste à nous demander : quel monde devons-nous transformer ? Ce qui nous conduit à interroger les représentations, cest-à-dire lidéologie, dont je rappelle quErnst Bloch, dans son Principe Espérance, la définissait comme étant « lharmonisation prématurée des contradictions sociales ».
Je dis tout de suite mon sentiment qui repose sur le constat dun double retard, de notre fait, ce « notre » sentendant collectivement. Il sagit dun retard par rapport à lidéologie dominante, le libéralisme, et dun retard sur le réel lui-même et la conscience encore diffuse quen prennent les travailleurs. Dun mot, nous ne sommes pas à la hauteur des tâches qui sont les nôtres ou que nous devrions remplir. Permettez-moi de me référer à deux périodes successives, celle de trop didéologie et celle de pas didéologie. Durant les années 68-70, on a eu affaire à une véritable inflation qui se traduisait par la multiplication des -ismes: stalinisme, trotskisme, althussérisme, gauchisme, maoïsme, révisionnisme, etc., et les affrontements auxquels elle donnait lieu avaient ceci de particulier quils se produisaient au sein du même camp, ou de la même famille de frères ennemis.
Comparée à cette période, la nôtre: est tout à fait différente. Je la caractérise par la métaphore des « trois murs » du mur de Berlin au mur du silence, qui dissimule le mur de largent. Cest ce quon a appelé « la fin des idéologies ». Lexpression, due à un intellectuel, qui nappartient pas à la catégorie que jai retenue, qui est un idéologue au service du Pentagone, donc de lautre « camp », nest pas dénuée dintérêt. Elle enregistre littéralement un trait fort de notre situation, savoir que la fin des empoignades nest pas uniquement due à leffondrement des pays du socialisme dit réel, et donc à la disparition du principal concurrent du capitalisme, qui valait ce quil valait, mais bien au constat dune fin, puisque seule demeure en piste lidéologie libérale. Cette fin, accompagnée de tant de louanges sur lassimilation marché-démocratie, na rien dune déclaration de principe ou dune décision philosophique, comme on la parfois cru. Elle correspond très exactement à la phase de développement du mode de production capitaliste, dont Marx avait établi lhypothèse, quand il parlait du « fétiche automate », de léquation « A-A », où largent faisait de largent, comme le poirier portait des poires. Le règne du capital financier, de la spéculation et de la bourse, dispense de toute référence théoricienne, fut-elle imaginaire. Elle na même plus besoin dune autre temporalité que celle de la corbeille : Fukuyama a raison, cest la « fin de lhistoire », qui explique la mort de tout « récit », grand ou petit.
Le libéralisme est une doctrine de linstantanéité. Le projet ou, à plus forte raison, laction concertée des individus obéissant à un plan, ny occupe aucune place. Le winner daujourdhui est le looser de demain. Jajoute que du financier au politique la conséquence est bonne, concernant les individus, soumis à de semblables mésaventures, et également les méthodes: dans nos sociétés la gestion a pris le pas sur la politique. Labsence ou leffacement partout relevés, et tantôt célébrés, tantôt déplorés, de démarcation entre droite et gauche dans les pratiques de gouvernement, nont pas dautre origine. Les politiques libérales, quelles soient conservatrices et réactionnaires ou social-démocrates, un peu plus « sociales », ici, ou, du moins prétendues telles, un peu moins, là, dures ou molles, marchent, par définition, au consensus gestionnaire, qui saccommode, pour la galerie, de quelques bémols, présentés comme « alternatives ». Cest pourquoi le libéralisme est lidéologie de la fin des idéologies. On connaît les ralliements quil a provoqués. Je névoque que pour mémoire, car ce serait trop facile, ces « révolutionnaires » soixante-huitards convertis en hauts fonctionnaires, en PDG, en patrons de presse ou en députés verts et roses, dont les itinéraires suffiraient à jeter un doute sur la nature de leurs engagements de jeunesse… Foin de ces « plans de carrière », il est assurément plus affligeant de regarder vers tous ceux qui sont demeurés attachés au vouloir de changement social, au sein des formations communistes ou socialistes ou sans appartenance partidaire, mais qui, accablés dune conscience de culpabilité historique, ne sont parvenus ni à mener à terme leur conduite de deuil, ni, et surtout, à rester en éveil critique face au triomphe du libéralisme. Ladoption du vocabulaire de lidéologie dominante, dont je ne puis parler longuement, reflète avec docilité ces glissements. Lexemple des pays socialistes se précipitant vers la démocratie des supermarchés, sous les applaudissements de lensemble du « monde occidental », va dans le même sens.
Lénorme succès de vente, dabord aux E.U., qua connu louvrage de Hardt et Negri, est tout à fait révélateur. Ce pavé indigeste a rendu léminent service de régler la question des étiquettes. Limpérialisme y prend la figure de lEmpire tandis que les classes se fondent dans la multitude. Du même coup, la conscience malheureuse reprenait des forces et des couleurs, au moment précisément où la notion dimpérialisme simposait pour qualifier la politique internationale du capital et celle de classes pour comprendre les formes émergentes de luttes antisystémiques. La querelle qui, en France, se mesure déjà en kilos de papier imprimé et en tintamarres dinvectives, autour de « lanti-américanisme » est tout aussi éclairante. La « gauche » se trouve littéralement acculée à la défensive face à limputation dont se gargarisent les médias qui amalgament anti-américanisme, anti-sionisme et antisémitisme. Faute de, ou plutôt dans, le refus de juger impérialiste la politique des E.U. et colonialiste celle de lEtat dIsraël, elle sempêtre dans les filets de lidéologie dominante, dont elle nest plus que la vassale.
Car, cest bien dimpérialisme quil sagit et de la réplique anti-impérialiste qui simpose. Contrairement à ce que lon cherche à faire dire au terme danti-américanisme, limpérialisme ne se limite nullement aux seuls E. U., il englobe la « triade », Europe et Japon inclus. Toutefois une distinction simpose entre impérialisme dominant et impérialismes subalternes. La concurrence qui continue à les diviser ne ressemble en rien à celle dautrefois, qui pouvait aller jusquaux conflits armés, elle ne franchit guère la ligne des déclarations dintention. On le voit, comme prévu, aux efforts déployés par les « anti-guerre », les Chirac et autres Schröder, pour reprendre leur place dans la sainte alliance, une fois la victoire remportée par le parrain de la Maison Blanche. Et lEurope, qui na rien fait, des décennies durant, pour obliger Israël à respecter le droit international, sempresse de voter des sanctions contre Cuba.
Que constatons-nous depuis le fameux 11 septembre 2001, qualifié de « bénédiction » par un dirigeant israélien ? Sinon que les E. U. ont définitivement opté pour la guerre comme politique, ou, selon lexpression de M. Bush, « la guerre infinie », qui entraîne la théorie de la « guerre préventive ». Il convient de retourner la formule si éculée de Clausewitz : la politique est la continuation de la guerre par dautres moyens. Ce choix est conforme à lhistoire états-unienne. Je ninsisterai pas, sauf pour souligner quil est dans le droit fil dune tradition, conférant à la liberté une valeur centrale. Quelle liberté ? Celle dentreprendre assurément, qui ne se préoccupe guère de senjoliver, qui veut vaincre pour dominer, avant-hier les Indiens, seul génocide à peu près réussi de lhistoire, hier les Noirs, toujours objet de discriminations féroces, et, de nos jours, les rouges, auxquels ont succédé les islamistes, étant entendu quest chaque fois jugée indispensable linvention dun ennemi. Le langage dun manichéisme infantile est chargé dhabiller de religion la défense et apologie de la propriété. La tradition de la « vieille Europe », en regard, paraît quelque peu différente, en ce sens que la catégorie de légalité, produit des luttes populaires et non tombée du ciel, y joue encore un rôle privilégié, y compris au sein des droites, contraintes de lintégrer à leurs discours. Sans doute, lEden des droits de lhomme où règne le seul échange mercantile, semploie-t-il à gommer les différences, en réservant le même sort libéral à légalité et à la liberté, une certaine résistance toutefois parvient à se manifester.
Étroitement liés, le discours de la sécurité et le discours du terrorisme entendent interdire toute autre forme dexpression et assurer lhégémonisme militaro-économique de la superpuissance. Dans cette logique, la militarisation sétend au domaine économique et les politiques libérales démantèlent le public, le national et le social, en multipliant les mesures répressives. Or, cest justement une telle situation qui rend vigueur et efficacité aux concepts marxistes. Qui les rend visibles à la fois sur le plan de lintelligence des contradictions en travail dans le monde, dont nulle autre théorie ne dresse un état satisfaisant, et sur le plan des pratiques en cours daltermondialisation, si bigarrées soient-elles. Jai rappelé que les responsables politiques du « camp de la paix » sempressaient de rallier le vainqueur, mais on ne saurait faire bon marché de lopinion populaire qui, sous la forme dun raz-de-marée sans précédent, dans le monde entier, les a appuyés et souvent devancés.
Le temps est donc venu pour les intellectuels qui se disent marxistes ou se réclament dune gauche digne de ce nom, de saffirmer comme tels. Au diable culpabilités, prudences et lâchetés, lexigence de dire à quel camp on appartient fait retour. Elle est ancienne et tient ses lettres de noblesse dune tradition dont les moments ont eu nom Voltaire, laffaire Dreyfus, les guerres du Vietnam et dAlgérie, Sartre, Genet, ou, plus près de nous, Bourdieu. On pourra invoquer tous les post que lon voudra, modernisme, capitalisme, socialisme…, on ne changera rien à ce fait que les rapports sociaux demeurent déterminés par la lutte, par le conflit, et non par le dialogue ou les consensus. Sil est vrai que la vérité « cest ce qui emmerde », disait le circonspect Valéry, eh bien soyons, avec lIncorruptible ce coup-ci, ses « surveillants incommodes ».
Georges LabicaJe me propose de parler de nous, cest-à-dire des intellectuels. Non pas des intellectuels en général, quil serait fort malaisé de définir, mais de nous, intellectuels qui nous réclamons du marxisme ou qui nous disons marxistes, donc révolutionnaires, les deux termes étant par principe équivalents.
Si on les a séparés, ce nest pas de ma faute. La question doù je partirai est la suivante : est-ce que, en raison justement de cette équivalence, nous voulons encore aujourdhui transformer le monde ou participer à sa transformation ? Le préalable consiste à nous demander : quel monde devons-nous transformer ? Ce qui nous conduit à interroger les représentations, cest-à-dire lidéologie, dont je rappelle quErnst Bloch, dans son Principe Espérance, la définissait comme étant « lharmonisation prématurée des contradictions sociales ».
Je dis tout de suite mon sentiment qui repose sur le constat dun double retard, de notre fait, ce « notre » sentendant collectivement. Il sagit dun retard par rapport à lidéologie dominante, le libéralisme, et dun retard sur le réel lui-même et la conscience encore diffuse quen prennent les travailleurs. Dun mot, nous ne sommes pas à la hauteur des tâches qui sont les nôtres ou que nous devrions remplir. Permettez-moi de me référer à deux périodes successives, celle de trop didéologie et celle de pas didéologie. Durant les années 68-70, on a eu affaire à une véritable inflation qui se traduisait par la multiplication des -ismes: stalinisme, trotskisme, althussérisme, gauchisme, maoïsme, révisionnisme, etc., et les affrontements auxquels elle donnait lieu avaient ceci de particulier quils se produisaient au sein du même camp, ou de la même famille de frères ennemis.
Comparée à cette période, la nôtre: est tout à fait différente. Je la caractérise par la métaphore des « trois murs » du mur de Berlin au mur du silence, qui dissimule le mur de largent. Cest ce quon a appelé « la fin des idéologies ». Lexpression, due à un intellectuel, qui nappartient pas à la catégorie que jai retenue, qui est un idéologue au service du Pentagone, donc de lautre « camp », nest pas dénuée dintérêt. Elle enregistre littéralement un trait fort de notre situation, savoir que la fin des empoignades nest pas uniquement due à leffondrement des pays du socialisme dit réel, et donc à la disparition du principal concurrent du capitalisme, qui valait ce quil valait, mais bien au constat dune fin, puisque seule demeure en piste lidéologie libérale. Cette fin, accompagnée de tant de louanges sur lassimilation marché-démocratie, na rien dune déclaration de principe ou dune décision philosophique, comme on la parfois cru. Elle correspond très exactement à la phase de développement du mode de production capitaliste, dont Marx avait établi lhypothèse, quand il parlait du « fétiche automate », de léquation « A-A », où largent faisait de largent, comme le poirier portait des poires. Le règne du capital financier, de la spéculation et de la bourse, dispense de toute référence théoricienne, fut-elle imaginaire. Elle na même plus besoin dune autre temporalité que celle de la corbeille : Fukuyama a raison, cest la « fin de lhistoire », qui explique la mort de tout « récit », grand ou petit.
Le libéralisme est une doctrine de linstantanéité. Le projet ou, à plus forte raison, laction concertée des individus obéissant à un plan, ny occupe aucune place. Le winner daujourdhui est le looser de demain. Jajoute que du financier au politique la conséquence est bonne, concernant les individus, soumis à de semblables mésaventures, et également les méthodes: dans nos sociétés la gestion a pris le pas sur la politique. Labsence ou leffacement partout relevés, et tantôt célébrés, tantôt déplorés, de démarcation entre droite et gauche dans les pratiques de gouvernement, nont pas dautre origine. Les politiques libérales, quelles soient conservatrices et réactionnaires ou social-démocrates, un peu plus « sociales », ici, ou, du moins prétendues telles, un peu moins, là, dures ou molles, marchent, par définition, au consensus gestionnaire, qui saccommode, pour la galerie, de quelques bémols, présentés comme « alternatives ». Cest pourquoi le libéralisme est lidéologie de la fin des idéologies. On connaît les ralliements quil a provoqués. Je névoque que pour mémoire, car ce serait trop facile, ces « révolutionnaires » soixante-huitards convertis en hauts fonctionnaires, en PDG, en patrons de presse ou en députés verts et roses, dont les itinéraires suffiraient à jeter un doute sur la nature de leurs engagements de jeunesse… Foin de ces « plans de carrière », il est assurément plus affligeant de regarder vers tous ceux qui sont demeurés attachés au vouloir de changement social, au sein des formations communistes ou socialistes ou sans appartenance partidaire, mais qui, accablés dune conscience de culpabilité historique, ne sont parvenus ni à mener à terme leur conduite de deuil, ni, et surtout, à rester en éveil critique face au triomphe du libéralisme. Ladoption du vocabulaire de lidéologie dominante, dont je ne puis parler longuement, reflète avec docilité ces glissements. Lexemple des pays socialistes se précipitant vers la démocratie des supermarchés, sous les applaudissements de lensemble du « monde occidental », va dans le même sens.
Lénorme succès de vente, dabord aux E.U., qua connu louvrage de Hardt et Negri, est tout à fait révélateur. Ce pavé indigeste a rendu léminent service de régler la question des étiquettes. Limpérialisme y prend la figure de lEmpire tandis que les classes se fondent dans la multitude. Du même coup, la conscience malheureuse reprenait des forces et des couleurs, au moment précisément où la notion dimpérialisme simposait pour qualifier la politique internationale du capital et celle de classes pour comprendre les formes émergentes de luttes antisystémiques. La querelle qui, en France, se mesure déjà en kilos de papier imprimé et en tintamarres dinvectives, autour de « lanti-américanisme » est tout aussi éclairante. La « gauche » se trouve littéralement acculée à la défensive face à limputation dont se gargarisent les médias qui amalgament anti-américanisme, anti-sionisme et antisémitisme. Faute de, ou plutôt dans, le refus de juger impérialiste la politique des E.U. et colonialiste celle de lEtat dIsraël, elle sempêtre dans les filets de lidéologie dominante, dont elle nest plus que la vassale.
Car, cest bien dimpérialisme quil sagit et de la réplique anti-impérialiste qui simpose. Contrairement à ce que lon cherche à faire dire au terme danti-américanisme, limpérialisme ne se limite nullement aux seuls E. U., il englobe la « triade », Europe et Japon inclus. Toutefois une distinction simpose entre impérialisme dominant et impérialismes subalternes. La concurrence qui continue à les diviser ne ressemble en rien à celle dautrefois, qui pouvait aller jusquaux conflits armés, elle ne franchit guère la ligne des déclarations dintention. On le voit, comme prévu, aux efforts déployés par les « anti-guerre », les Chirac et autres Schröder, pour reprendre leur place dans la sainte alliance, une fois la victoire remportée par le parrain de la Maison Blanche. Et lEurope, qui na rien fait, des décennies durant, pour obliger Israël à respecter le droit international, sempresse de voter des sanctions contre Cuba.
Que constatons-nous depuis le fameux 11 septembre 2001, qualifié de « bénédiction » par un dirigeant israélien ? Sinon que les E. U. ont définitivement opté pour la guerre comme politique, ou, selon lexpression de M. Bush, « la guerre infinie », qui entraîne la théorie de la « guerre préventive ». Il convient de retourner la formule si éculée de Clausewitz : la politique est la continuation de la guerre par dautres moyens. Ce choix est conforme à lhistoire états-unienne. Je ninsisterai pas, sauf pour souligner quil est dans le droit fil dune tradition, conférant à la liberté une valeur centrale. Quelle liberté ? Celle dentreprendre assurément, qui ne se préoccupe guère de senjoliver, qui veut vaincre pour dominer, avant-hier les Indiens, seul génocide à peu près réussi de lhistoire, hier les Noirs, toujours objet de discriminations féroces, et, de nos jours, les rouges, auxquels ont succédé les islamistes, étant entendu quest chaque fois jugée indispensable linvention dun ennemi. Le langage dun manichéisme infantile est chargé dhabiller de religion la défense et apologie de la propriété. La tradition de la « vieille Europe », en regard, paraît quelque peu différente, en ce sens que la catégorie de légalité, produit des luttes populaires et non tombée du ciel, y joue encore un rôle privilégié, y compris au sein des droites, contraintes de lintégrer à leurs discours. Sans doute, lEden des droits de lhomme où règne le seul échange mercantile, semploie-t-il à gommer les différences, en réservant le même sort libéral à légalité et à la liberté, une certaine résistance toutefois parvient à se manifester.
Étroitement liés, le discours de la sécurité et le discours du terrorisme entendent interdire toute autre forme dexpression et assurer lhégémonisme militaro-économique de la superpuissance. Dans cette logique, la militarisation sétend au domaine économique et les politiques libérales démantèlent le public, le national et le social, en multipliant les mesures répressives. Or, cest justement une telle situation qui rend vigueur et efficacité aux concepts marxistes. Qui les rend visibles à la fois sur le plan de lintelligence des contradictions en travail dans le monde, dont nulle autre théorie ne dresse un état satisfaisant, et sur le plan des pratiques en cours daltermondialisation, si bigarrées soient-elles. Jai rappelé que les responsables politiques du « camp de la paix » sempressaient de rallier le vainqueur, mais on ne saurait faire bon marché de lopinion populaire qui, sous la forme dun raz-de-marée sans précédent, dans le monde entier, les a appuyés et souvent devancés.
Le temps est donc venu pour les intellectuels qui se disent marxistes ou se réclament dune gauche digne de ce nom, de saffirmer comme tels. Au diable culpabilités, prudences et lâchetés, lexigence de dire à quel camp on appartient fait retour. Elle est ancienne et tient ses lettres de noblesse dune tradition dont les moments ont eu nom Voltaire, laffaire Dreyfus, les guerres du Vietnam et dAlgérie, Sartre, Genet, ou, plus près de nous, Bourdieu. On pourra invoquer tous les post que lon voudra, modernisme, capitalisme, socialisme…, on ne changera rien à ce fait que les rapports sociaux demeurent déterminés par la lutte, par le conflit, et non par le dialogue ou les consensus. Sil est vrai que la vérité « cest ce qui emmerde », disait le circonspect Valéry, eh bien soyons, avec lIncorruptible ce coup-ci, ses « surveillants incommodes ».